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Un désir de Chine

« Ainsi, jamais son nom n’est terni. “Aux sujets la tâche, au prince la gloire.” Voici la maxime du souverain. Le Tao existe, mais on ne peut le voir ; il déploie son œuvre sans qu’on puisse la comprendre. Le souverain éclairé est comme le Tao : vide et immobile, il est sans affaire ; demeurant en retrait, il met au jour les manques et les fautes. Il voit sans être vu. Il entend, mais n’est pas entendu. Il sait, mais n’est pas su. Il voit bien où on voudrait le mener, mais rien ni ne l’altère ni ne le meut. Il considère tout attentivement et confronte les paroles aux faits. Il donne à chacun sa charge sans discussion ; il régule tout et chacun, entièrement. Il couvre ses traces et dissimule ses fins. L’intelligence et le talent, il les abandonne ; les opinions, il les balaie. Ainsi, ceux qui se tiennent en dessous de lui, jamais ne remontent à sa source. »
(Han-Fei, Tao du Prince)

« Les devoirs passent avant les droits » nous sortait Gabriel Attal le 1er février 2022, insistant sur le ton que va prendre le futur mandat de Macron. Le bon berger avait déjà énoncé le 21 mai dernier : « Vous avez des devoirs avant d’avoir des droits » (Macron sur les sans-papiers). Décidément, c’est une obsession. Un désir de Chine croît chaque décennie dans l’esprit des gouvernements occidentaux depuis les années 2000. Tous les gouvernants ne rêvent que d’une chose la nuit : de la gouvernementalité chinoise. La séquence du Covid a produit sur les gouvernements une surintensification de ce désir de Chine. Tous regardent avec envie la fameuse réussite chinoise de gestion cette pandémie, tous se sont frotté les mains en voyant ces images de Chine, de confinement, de quarantaine, de délation, de répression. Une chose est sûre : la Chine n’est pas un exemple à suivre, mais bien le modèle à copier. Macron en tête de file, à copier platement Xi Jinping et son Conseil de défense pour gérer la situation Covid. Les formes de gouvernementalité occidentale tentent à leur manière, avec plus de tact mais non moins de férocité, d’égaler l’hégémonie symbolique de la Chine. Le gouvernement ne doit plus simplement jouer sur son autorité transcendante, mais devenir un seuil immanent pour se situer dans chaque interstice de la vie quotidienne. Dès lors, il n’est plus question de primauté de la loi, mais de primauté de l’opacité neutre des normes et des dispositifs. Comment cela fonctionne-t-il ? Tout simplement par l’usage du citoyen, comme acteur-moteur des normes et des dispositifs, chaque citoyen s’entre-évalue, s’entre-note, s’entre-surveiller. Tout geste, tout acte, est évalué. Le Crédit Social n’est pas un horizon horrifique pour les petits Occidentaux, mais une réalité plus perfide, plus soft dans sa forme tout en étant aussi hard dans son fondement. En France, on évalue sans cesse, que ce soit pour un covoiturage, que ce soit pour plan Q, que soit un bar, un travail, on note même des films. Même dans l’intimité entre les êtres, la perception de l’évaluation est bien ancrée : « tu me plais, car tu réponds à mes critères ». La singularité d’une expérience vécue est impossible, elle est prise comme expérience à programmer, tout se réduit au safe, une aventure existentielle partagée n’est pas au programme.

Tout appareil d’État rêve de produire son régime autolégitimé par le fait de sa naturalité objective. De Hobbes à nos contemporains, les penseurs de la gouvernance constituent cette tentative de forçage historique de la naturalité du fait gouvernemental. Ces forceurs doivent produire les conditions historiques de leur objectivité, cela nécessite de fabriquer une écologie, un environnement. Pour parfaire son écologie, l’État doit penser l’articulation de deux plans : celui du visible et de l’invisible. La Chine est un exemple significatif. Le visible est ainsi élaboré comme tous les gestes d’autoflicage éprouvés dans la vie quotidienne. L’invisible quant à lui, est une structuration fantomatique du réel par l’infrastructure technologie mise en place, où chaque algorithme permet le bon fonctionnement du plan du visible. Tout le déploiement infrastructurel de la 5G sert à parfaire la circulation et l’efficacité du plan invisible sur le plan visible. La cybernétique est le moyen stratégique de définir et planifier une écologie. Le concept d’écologie est le plus couramment défini comme « la science des relations », comme un grand réseau d’interactions, ce genre de définition est une aubaine pour la cybernétique d’établir des continuités entre l’écologie et l’économie. Les êtres pris dans un dispositif écologique sont dans l’impossibilité sensitive de se situer dans ce réseau, devenant des individualités gestionnaires de leur propre écosystème, devenant ainsi des êtres spectraux. La Chine et les GAFAM accélèrent l’avènement de l’écologie du design comme paradigme de la gouvernance. La Chine est de loin le pays expérimentant ce paradigme à la plus grande échelle. Le paradigme de l’écologie du design met en place un réseau ou chaque être est pris dans un nombre calculé de relations interconnectées avec des objets qui façonnent son environnement comme écosystème virtuel. D’un côté, le monde de l’ingénieur façonne le monde à l’étroit de sa perception sensible du monde, de l’autre le designer permet son interaction avec ce monde étranger. La Chine parfait l’hypothèse cybernétique, les métropoles chinoises accélèrent leur devenir-smart-city, en aménageant la ville comme environnement rationalisé s’inscrivant dans la continuité de l’urbanisme algorithmique, le contrôle généralisé connecté à chaque centimètre de la ville. La ville devient le réseau médiatisé par des applications. Une triade technologique (IA, BIG data, internet des objets) comme l’essence du pouvoir environnementale. L’Europe expérimente dans différentes villes (Barcelone, Lyon, Amsterdam, etc.) cette triade et prépare le terrain à nos petites mentalités européennes.

Si dans les têtes des gouvernants le désir de Chine est le mantra de leur existant, un autre désir traverse les âmes, grandissant dans l’ombre de nos joies et de nos peines, un désir de guerre civile longe les cœurs effrontés de ce monde.

Ezra Riquelme

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