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Notes sur le Manifeste conspirationniste

Le décor :Il est 18 h 12, nous sommes le 16 janvier, je commence la rédaction de cette lettre. En l’écrivant, j’écoute la dernière chaîne en vogue, à savoir La Chaîne Parlementaire (passion triste de notre temps) — pour y entendre palabrer en direct des bouches malhonnêtes à notre sujet, pour y entendre un pseudodébat à propos de notre futur forcément muré, des perspectives de guerre et des injonctions que l’on nous rabâche à la mener. J’ai l’impression d’être témoin de ma propre condamnation, on y parle en notre nom de nos punitions prochaines, de nos misérables existences d’irresponsables galeux, on y statue sur la manière dont nous serons séparés une fois de plus, et si possible, définitivement. Ces gens-là donc, ceux de La Chaîne Parlementaire, fixent des textes sur le devenir de nos existences, comme ils semblent l’avoir toujours fait. Ils agitent nos morts, et continuent de parler au nom de tous les noms qui sont tus de leur bouche et de leurs lois. De bons prétextes à nous gouverner y sont échangés, ils poursuivent ainsi la tâche historique dont ils se font les employés : notre écrasement. L’histoire suit son cours, l’histoire dont on nous prive suit toujours son cours. Le parlement français adopte la loi dite vaccinale. Je coupe, je n’arrive pas à écrire. Il y a quelques semaines, quelqu’un me disait : les pouvoirs, de tout temps, sont maudits.

Qu’est-ce que pourrait bien être, dans ce contexte, la recension d’un livre qui esquisserait habilement une généalogie des gouvernances qui, depuis des siècles, s’appliquent à nous réduire en tous points ? L’exercice est périlleux tant le livre est dense.

Manifeste conspirationniste, donc. On nous informe : « Le conspirationnisme procède de l’anxiété de l’individu impuissant confronté à l’appareil gigantesque de la société technologique et un cours historique inintelligible. Il ne sert donc à rien de balayer le conspirationnisme comme faux, grotesque ou blâmable ; il faut s’adresser à l’anxiété d’où il sourd en produisant de l’intelligibilité historique et indiquer la voie d’une sortie de l’impuissance. On peut bien s’épuiser à tenter d’expliquer aux “pauvres en esprit” pourquoi ils se trompent, pourquoi les choses sont compliquées, pourquoi il est immoral de penser ceci ou cela, bref : à les évangéliser encore et toujours. Les médias peuvent bien éructer d’anathèmes. C’est le plus généralement sans effet, et parfois contre-productif. La vérité est qu’il y a dans le conspirationnisme une recherche éperdue de vérité, un refus de continuer à vivre en esclave travaillant et consommant aveuglément, un désir de trouver un plan commun en sécession avec l’ordre existant, un sentiment inné des machinations à l’œuvre, une sensibilité au sort que cette société réserve à l’enfance, au caractère proprement diabolique du pouvoir et de l’accumulation de richesse, mais surtout un réveil politique qu’il serait suicidaire de laisser à l’extrême droite. » – Le cadre est posé.

Par cette lettre, j’aimerais surtout vous encourager à lire ce livre. Je ne voudrais en aucun cas dénaturer ses propos par une recension prétentieuse et trop bavarde, je vais donc essayer de vous transmettre humblement les grandes lignes qui portent l’ouvrage, soulever quelques points généraux, non sans oublis, j’en suis certain.

Le travail abattu est salutaire, car il faut bien reconnaître que depuis deux ans, les mots justes et leurs articulations manquent. Il est probable que le postulat de départ, produire de l’intelligibilité historique, soit réussi, et que l’ouvrage en question soit en réalité un véritable livre-outil, non parce que vous y trouverez une méthode ou un mode d’emploi, mais parce qu’il rend lisible les temps que nous traversons, et rendre lisible à ce jour, c’est encore redonner un peu de souffle.

Je transmettrai ici quelques courts extraits choisis du livre, préférant inciter le lecteur à la lecture, plutôt que de lui gâcher le plaisir en produisant une synthèse logiquement subjective et forcément lacunaire.

De manière générale, il me semble important de devoir souligner la justesse du geste : produire un manifeste conspirationniste aujourd’hui, c’est avoir plusieurs coups d’avance sur les temps qui viennent. Comprenez qu’il n’a pas été compliqué pour le pouvoir en place de fabriquer dès mars 2020 et à grands renforts médiatiques, la figure du conspirationniste, puis de s’en servir comme levier dans la gestion préparée de la crise sanitaire, à la fois pour produire l’inintelligibilité nécessaire à la confusion, elle-même nécessaire à l’instauration d’une certaine forme de docilité citoyenne, mais aussi pour encourager l’opposition et le clivage au sein même de la population. Nous en revenons à cette pratique gouvernementale bien connue, la fabrication et la nomination d’un ennemi intérieur. Le conspirationniste d’aujourd’hui c’est presque le « gilet jaune » d’hier, ce provincial irresponsable à qui la métropole n’a pas encore appris les bonnes manières. En reprenant ainsi entièrement la notion de conspiration et en déblayant audacieusement dans l’enfer qui nous est fait, ce texte nous rend, en quelque sorte, la conspiration, alors qu’une tentative de capture est en cours, alors que tout ce qui s’oppose à la mise en place d’une gouvernance sanitaire, autoritaire, biocratique est d’emblée désigné comme conspirationniste, et donc, comme ennemi. Prendre part pour un conspirationnisme politique, c’est effectivement et très justement ne pas laisser à l’extrême droite ce réveil politique. Il ne s’agit pas de désigner un mauvais conspirationnisme en l’opposant à un bon conspirationnisme. Il en va plutôt d’un jeu de retournement habile, et on sait à quel point les retournements en politique sont d’usage, d’autant plus lorsque la notion même de vérité devient caduque, d’autant plus à une période où la notion prétendument objective de chiffre et elle même devenue opportunément falsifiable. Ce que ce livre montre, en outre, et non sans humour, c’est qu’il n’y a rien de surprenant à ce que toute cette entreprise de gouvernementalité morbide se déroule devant nos yeux impuissants. Au contraire, c’est une logique en application, et cette logique veut que nous soyons de ceux que l’on gouverne, historiquement.

« Pour ceux qui acceptent de voir, les deux années passées auront produit une grande clarté. » (p. 28)

De point en point, le Manifeste conspirationniste donne à lire, c’est-à-dire rend lisible, la manière dont les gouvernements successifs depuis une gouvernementalité générale se sont employés à nous asservir, à nous contrôler, à fabriquer des monstres infâmes utiles à générer notre perte, la manière dont on a ingénieusement mis au point des modèles de vies inertes, dignes des pires scénarios. D’ailleurs, vous verrez que les pires scénarios pour nous sont les scénarios désirables pour ceux qui nous gouvernent. Nous pourrons lire dans l’ouvrage la manière dont les métropoles ont été construites, disposées, et en quoi ces laboratoires humains et leurs dispositifs participent de la mise en place du pouvoir autoritaire et comment ces dispositifs servent à l’annihilation de toute forme de vie souhaitable. Sera également rendue lisible la longue préparation qui a précédé la gestion de crise que nous subissons aujourd’hui, en réponse à l’événement inattendu que l’on a bien essayé de nous vendre. Autre proposition éclairante et non moins pertinente : la gestion de crise sanitaire observée sous l’angle d’une reprise en main gouvernementale des populations jusque dans ses foyers ; la contre-révolution de 2020 répond aux soulèvements de 2019.

« Fin 2019, une crise massive de la gouvernementalité mondiale était en cours. Une lucarne historique s’ouvrait. En France, l’écrasement bestial des Gilets jaunes était encore dans toutes les têtes et la police était à peu près aussi détestée que le régime qu’elle avait sadiquement défendu. La possibilité de sortir des rails d’un futur foutu attirait à elle des peuples entiers. Il fallait tenter quelque chose. Il fallait reprendre la main, quoi qu’il en coûte. Ceux dont une telle bifurcation signifierait la perte ont tenté de lui substituer une machination afin de rester sur les rails de leur apocalypse rentable. Ils ont déclaré clos les possibles et voulu inverser le signe de la rupture historique en cours en retournant l’ouverture révolutionnaire en intensification vertigineuse de leur emprise. […] On ne s’était donc pas préparé en vain. Seulement voilà, la “société ouverte” des néolibéraux, même la terre n’en veut plus ». (pp. 95- 97)

L’ouvrage tout entier est également une charge contre le positivisme de Comte, contre la technoscience mondiale et ceux qui la distillent, qu’il s’agisse de la DARPA, de la fondation Gates ou du sujet cool comme exterminateur à peine déguisé, une charge donc, contre toutes les impasses, historiques et contemporaines. Charge contre, qui ne manque pas de réveiller notre attention sur le concept réactionnaire de société et nous encourage à faire le choix de la sécession active contre la guerre qui nous est menée et dont on voudrait faire de nous les lambeaux de chairs solidaires. L’issue proposée à l’impuissance que fabrique la terreur à laquelle nous sommes tenue n’est autre que la conspiration, une conspiration des liens et leur consistance, de leur effectivité, d’âme à âme, en vue de quitter la logique opérationnelle d’un monde que nous n’avons jamais voulu et qui partout s’impose et nous prive d’une vie bonne.

« Prétendre lutter contre une épidémie, et demain contre la catastrophe écologique, en conditionnant toute vie sociale à la présentation d’un pass, sorte de version électronique généralisée du livret ouvrier du XIXe siècle, pour ensuite flétrir comme irresponsables ceux qui trouvent cette prétention extravagante — le pouvoir a pris goût à cette opération récurrente : poser un réel délirant, puis déclarer hérétiques ceux qui refusent de s’y souscrire. Mais nous ne sommes pas une hérésie. Nous sommes un schisme. » (p. 33)

La gauche, dans sa généralité la plus inconséquente, en prend aussi pour son grade, et c’est bienvenu. Après une longue et claquante citation d’un conspirationniste à qui l’on a dédié un affreux boulevard à Paris (Auguste Blanqui), on peut lire cela :

« De la droite, il n’y a jamais rien eu à attendre, sinon la perpétuation de l’injustice héritée. Mais que la gauche ait, au fond, toujours été du côté des vainqueurs, dont elle n’était que la mauvaise conscience hystérique, voilà qui n’était pas apparu aux yeux de tous, dans l’histoire, que par éclats vites oubliés. » (p. 49)

Ce livre est aussi là pour nous rappeler ces quelques éclats vites oubliés.

Dans l’ensemble, l’ouvrage organise et rassemble ce qui jusqu’à présent était précisément entretenu dans une masse confuse et chaotique d’informations. Voilà l’une des premières impressions qui ressort après lecture du manifeste, quelque chose d’une pensée organisée, comme la tentative concluante d’avoir méticuleusement lu, trié, classé, une suite d’informations dont l’usage fragmentaire et parfois maladroit prend pour habitude de rendre caduque la charge critique initiale. Et cette pensée organisée clarifie ainsi d’obscurs présents dans le but d’en tirer des conclusions logiques et pratiques. Formellement, le livre est rythmé par une alternance et un maillage entre une prose existentielle révoltée et des passages denses de généalogies et de faits historiques appartenant généralement à l’histoire occidentale.

À l’heure où je termine cette lettre, une pseudorecension est publiée par un journaliste hâtif de ce chef-d’œuvre qu’est L’Express. Comme à son habitude, ce conglomérat de paresse intellectuelle ne trouve rien de mieux que de poser un nom d’auteur là où il n’y en a pas, car le livre est sans auteur. Fonction policière même pas dissimulée. On comprendra très vite que le commis rédacteur de cet article, non seulement n’a pas lu le livre, mais qu’il ne comprend rien à la charge commune qu’il porte. Car il se pourrait bien que les auteurs de ce livre soient des millions, n’en déplaise à ce journaliste de Malher. Les citations recomposées de ce mauvais rédacteur n’auront pas déplu au gauchisme en ligne qui se sera empressé de vomir un livre qu’ils n’avaient pas lu, mais qui remettait en cause leur fable partagée par le gouvernement.

Pour terminer cette première lettre, j’aimerais mentionner brièvement le chapitre 4 de la dernière partie du livre :

«  Nous voulons nous venger. Nous venger de ces deux années de torture blanche. De nous être fait tordre le bras pour que nous nous vaccinions. Des morts que nous n’avons pas pu enterrer. Des amis perdus, amochés ou sous anxiolytiques. Du désert qui croît. Du silence forcé. Des couleuvres galactiques que l’on nous a fait avaler. Des injures à la logique. Des balafres à la sensibilité. Pour les vieux, abandonnés sans préavis, et les enfants, maltraités sans raison.
Nous venger pour la terre bousillée et les océans moribonds. Pour les êtres admirables que la machine du progrès a écrabouillés et les saints qui finirent à l’asile. Pour les villes assassinées et les campagnes vitrifiées. De l’offense faite à ce monde et pour tous les mondes qui ne sont pas advenus. Pour tous les vaincus de l’Histoire dont on ne célébrera jamais le nom ». (p. 365)

Une recension est toujours un exercice délicat. D’autant plus dans ce contexte, et je dois dire que je fais partie de ceux que l’on a attaqués à l’âme, et qui estiment que les blessures endurées ces deux dernières années auront un impact littéralement infernal sur les générations qui viennent. Je fais partie de ceux qui ont cet étrange sentiment qu’on leur a volé leurs enfants. Je fais partie de ceux qui voient ici et là tout un appareillage de la division et la fabrique d’une sorte d’unité nationale, coûte que coûte, juste bonne à préparer les corps à leur perte. Ces blessures s’ajoutent aux précédentes, mais arrive le moment où les corps craquent, littéralement, arrive ce moment où le niveau d’acceptation quant au mépris et à l’humiliation subie n’est plus supportable. Je fais partie de ceux qui ne s’adapteront pas, je suis de ceux qui ne sont pas solidaires avec ce monde, et j’ose imaginer que nous sommes des millions.

« Mais les Justes cachés ne portent pas le badge. Il faut prendre le risque de les rencontrer, d’être déçu ou émerveillé. Il ne sert à rien d’opposer maquisards et marranes. Il y a des déserteurs par l’esprit partout. Le tout est de parvenir à briser la glace sociale. À poser les conditions de possibilité d’une communication d’âme à âme. De parvenir à organiser la rencontre, en somme. Et ainsi, tisser un plan conspiratif qui va s’étendant, se ramifiant, se complexifiant, s’approfondissant. Résister, surtout, à la tentation de se refermer en un groupe, en une entité qui s’appréhende à son tour depuis le dehors. Les groupes ne sont bons qu’à trahir ce en vertu de quoi ils ont été formés ». (p. 379)

Manifeste conspirationniste, 17e, 384 pages, Éditions du Seuil.

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