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Discours au Sénat le 7 octobre 2021

Je me concentrerai uniquement sur deux points, que je voudrais porter à l’attention des parlementaires qui devront voter sur la conversion du décret en loi.

La première est l’évidente — j’insiste sur l’évidente — contradiction du décret en question. Vous savez que le gouvernement par un décret-loi spécial, dit « bouclier pénal », n° 44 de 2021, désormais converti en loi, s’est exonéré de toute responsabilité pour les dommages causés par les vaccins. La gravité de ce préjudice se traduit par le fait que l’article 3 du décret mentionne explicitement les articles 589 et 590 du Code pénal, qui font référence à l’homicide involontaire et aux blessures par négligence.

Comme l’ont noté des juristes faisant autorité, l’État n’a pas envie d’assumer la responsabilité d’un vaccin la phase de test n’est pas terminée et pourtant, en même temps, essaie de forcer les citoyens à se vacciner par tous les moyens, sous peine de les exclure de la vie sociale et, maintenant, avec le nouveau décret sur lequel vous êtes appelés à voter, en les privant même de la possibilité de travailler.

Peut-on imaginer une situation juridiquement et moralement plus anormale ? Comment l’État peut-il accuser d’irresponsabilité ceux qui choisissent de ne pas se vacciner, alors que c’est le même État qui décline formellement toute responsabilité pour les éventuelles conséquences graves — rappelons-nous la mention des articles 589 et 590 du Code pénal — du vaccin ?

J’aimerais que les parlementaires réfléchissent à cette contradiction qui, à mon avis, constitue une véritable monstruosité juridique.

Le deuxième point sur lequel je voudrais attirer votre attention ne concerne pas le problème médical du vaccin, mais celui politique du pass vert, qu’il ne faut pas confondre avec celui-ci (on a fait des vaccins de toutes sortes dans le passé, sans être obligé de présenter une attestation pour chacun de nos mouvements). Il a été dit par des scientifiques et des médecins que le pass vert n’a aucune signification médicale en lui-même, mais sert à forcer les gens à se faire vacciner. En revanche, je crois que le contraire peut et doit aussi être affirmé, à savoir que le vaccin est en fait un moyen d’obliger les gens à avoir un pass vert,c’est-à-dire un dispositif qui leur permet de contrôler et de suivre leurs mouvements à un degré sans précédent.

Les politologues savent depuis longtemps que nos sociétés sont passées du modèle qu’on appelait autrefois les « sociétés disciplinaires » à celui des « sociétés de contrôle », fondé sur un contrôle numérique quasi illimité des comportements individuels, qui deviennent ainsi quantifiables dans un algorithme. Nous nous habituons maintenant à ces dispositifs de contrôle — mais jusqu’à quel point sommes-nous prêts à accepter ce contrôle ? Est-il possible que les citoyens d’une société prétendument démocratique se retrouvent dans une situation pire que celle des citoyens de l’Union soviétique de Staline ? Vous savez que les citoyens soviétiques étaient tenus de présenter une « propiska » pour voyager d’un pays à l’autre, mais nous devons aussi le faire pour aller au cinéma ou au restaurant — et maintenant, beaucoup plus sérieusement, pour aller travailler. Et comment accepter que, pour la première fois dans l’histoire de l’Italie depuis les lois fascistes de 1938 sur les citoyens non aryens, se créent des citoyens de seconde zone, soumis à des restrictions qui, d’un point de vue strictement juridique — j’insiste sur le juridique —, n’ont rien à envier à celles prévues dans ces lois sinistres ?

Tout porte à croire que les décrets-lois qui se succèdent comme s’ils émanaient d’une seule personne s’inscrivent dans un processus de transformation des institutions et des paradigmes de gouvernement d’autant plus insidieux qui, comme cela s’était produit pour le fascisme, s’effectue sans modifier le texte de la constitution. Ce modèle, ainsi progressivement érodé et neutralisé, est celui des démocraties parlementaires, avec leurs droits et garanties constitutionnels, remplacés par un paradigme de gouvernement dans lequel, au nom de la biosécurité et du contrôle, les libertés individuelles sont vouées à subir des limitations croissantes.

La concentration exclusive de l’attention sur les infections et la santé nous empêche de percevoir la Grande Transformation qui s’opère dans la sphère politique et de réaliser que, comme les gouvernements eux-mêmes ne se lassent pas de nous le rappeler, la sécurité et l’urgence ne sont pas des phénomènes transitoires, mais ils constituent la nouvelle forme de gouvernementalité.

Dans cette perspective, il est plus que jamais urgent pour les parlementaires de considérer avec une extrême attention la transformation en cours, qui à terme est vouée à vider le parlement de ses pouvoirs, le réduisant, comme c’est le cas actuellement, à approuver, au nom de la biosécurité, des décrets sur qui émanent d’organisations et d’individus qui n’ont pas grand-chose à voir avec le Parlement.

Giorgio Agamben

Retrouvez l’article original sur https://www.quodlibet.it/giorgio-agamben-intervento-al-senato-del-7-ottobre-2021

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