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Nom de l’auteur/autrice :entetement

59. Il n’est pas de joie pardonnable

Un texte d’Amir
Si j’arrive à dire 

     la mort

pour dire que
j’ai cherché la vie partout et 
la mort ne laisse aucun repos
dans les murmures 
les plus médullaires
les cimes les plus enorgueillies
le long des peaux raidies
et la craquelure des lèvres 
loin des sourires de retorderie

Dieu, homme, animal

Un texte de Giorgio Agamben
Lorsque Nietzsche, il y a près de cent cinquante ans, formulait son diagnostic sur la mort de Dieu, il pensait que cet événement sans précédent allait fondamentalement changer l’existence des hommes sur terre. « Où allons-nous maintenant ? – écrivait-il – N’est-ce pas une dégringolade continuelle ? […] Y a-t-il encore un haut et un bas ? N’errons-nous pas dans un néant infini ? ». Et Kirilov, le personnage des Démons, dont Nietzsche avait soigneusement médité les paroles, pensait la mort de Dieu avec le même pathos sincère et en tirait comme conséquence nécessaire l’émancipation d’une volonté sans plus aucune limite et, en même temps, le non-sens et le suicide.

Éthique, politique et comédie

Un texte de Giorgio Agamben
Il convient de réfléchir à la circonstance singulière que les deux maximes qui ont cherché à définir avec le plus d’acuité le statut éthique et politique de l’homme dans la modernité proviennent de la comédie. Homo homini lupus – la pierre angulaire de la politique occidentale – se trouve chez Plaute (Asinaria, v.495, où il met en garde contre ceux qui ne savent pas qui est l’autre) et homo sum, humani nihil a me alienum puto, peut-être la formulation la plus heureuse du fondement de toute éthique, se trouve chez Térence (Heautontim., v.77). Il n’est pas moins surprenant que la définition du principe de droit « donner à chacun ce qui lui appartient » (suum cuique tribuere) ait été perçue par les Anciens comme la définition la plus adéquate de ce dont il est question dans la comédie.

Le coucher de soleil de l’Occident ? 

Un texte de Giorgio Agamben
Dans les textes publiés dans cette rubrique, il est souvent question de la fin de l’Occident. Il convient ici de ne pas se méprendre. Il ne s’agit pas de la contemplation résignée – quoique lucide et amère – du dernier acte d’un coucher de soleil que Spengler et d’autres pseudo-prophètes annonçaient il y a trop longtemps. Ils ne s’intéressaient à rien d’autre qu’à ce coucher de soleil, ils en étaient d’ailleurs complices et s’en félicitaient même, car dans les havresacs et les coffres-forts de leur esprit, il n’y avait plus rien du tout, c’était pour ainsi dire leur seule richesse, dont ils ne voulaient à aucun prix être spoliés. C’est pourquoi Spengler pouvait écrire en 1917 : « Je souhaite seulement que ce livre puisse être placé à côté des exploits militaires de l’Allemagne sans en être tout à fait indigne ».

L’expérience de la langue est une expérience politique

Un texte de Giorgio Agamben
Comment serait-il possible de changer véritablement la société et la culture dans lesquelles nous vivons ? Les réformes et même les révolutions, tout en transformant les institutions et les lois, les relations de production et les objets, ne remettent pas en question les couches plus profondes qui façonnent notre vision du monde et qu’il faudrait atteindre pour que le changement soit vraiment radical. Pourtant, nous faisons l’expérience quotidienne de quelque chose qui existe d’une manière différente de toutes les choses et institutions qui nous entourent et qui les conditionnent et les déterminent toutes : le langage.

Entêtement en librairie

La revue en ligne Entêtement est née en janvier 2022, sur un coup de tête, dans une situation politico-éthique étouffante. Elle s’est déployée tous les mois, et continue de le faire toutes les saisons. Il s’agissait de donner à lire des textes et des penséees qui ne passaient plus. La revue est maintenant disponible en librairie aux Éditions Pli.

Pourquoi revenir rue Saint-Benoît ?

Une conversation entre Gerardo Muñoz et Philippe Theophanidis
Il me semble que le premier problème du groupe de la rue Saint-Benoît est de résister aux périodisations et aux catégorisations de l’histoire littéraire, qui cherche toujours à « restituer » l’objet pour l’éloigner encore plus de la pensée. Sur un ton ouvertement ironique, il convient de rappeler que Dionys Mascolo, dans une interview tardive, a décrit l’expérience de la rue Saint-Benoît comme une sorte de communauté monastique . Mais cela semble également insuffisant si l’on s’en tient à l’idée que les différents styles de ceux qui ont circulé sur la scène de la rue Saint-Benoît se sont réunis pour mettre en œuvre un mouvement de pensée profondément expérientiel, enraciné dans la vie et pas seulement dans la réalité ou dans la dimension sensorielle de la lettre

Le temps de l’écologie

Un texte de La cabane qui brûle
Le monde tel que nous le connaissons est au bord de la rupture. Nombreux sont ceux qui parlent d’un virage à droite, voire d’une fascisation, c’est-à-dire du retour du fascisme historique dans de nouveaux atours ; d’autres parlent de la crise ultime du capitalisme, voire même du naufrage de la civilisation humaine, et, d’ailleurs, ces deux visions ne s’excluent pas mutuellement. Nous souhaitons affirmer une troisième position : nous considérons que ce qui nous attend n’est ni la crise finale du capitalisme, ni le naufrage de la civilisation humaine, ni le retour du fascisme historique dans ses habits neufs ; bien au contraire : nous faisons face à la possibilité d’un régime écologique d’accumulation, qui prolongera la catastrophe présente en lui donnant une qualité nouvelle. Ce régime se dessinera en faux par rapport aux scénarios mentionnés auparavant, par ces phénomènes : le totalitarisme vert, la stabilité dans l’instabilité, la déshumanisation des hommes.

Chasse à l’homme et gratte-papier

Un texte de Sebastian Lotzer
Le 26 février dernier a été arrêtée chez elle, à Kreuzberg (Berlin), Daniela Klette, que la police allemande recherchait depuis trente ans pour sa participation aux activités de la Fraction armée rouge dans les années 1990, et quelques braquages de survie. Il n’en a pas fallu plus pour ramener les médias allemands à leur vieux réflexe de chasse à l’ennemi intérieur, en se lançant à la poursuite de deux camarades encore en cavale de Daniela Klette, Ernst-Volker Staub et Burkhard Garweg. Ce qui apparaît ici spectaculairement comme un règlement de comptes avec le passé, comme une ultime vengeance contre une organisation disparue, figure plutôt le futur qui nous est réservé.

Fin de négrisme paisible

Un homme est mort, qui tenait en même temps qu’il n’y a pas d’amitié qui vaille en politique et que toute sa vie n’a été que pure politique, militantisme dans toutes les dimensions imaginables – un homme qui, en bonne logique, n’avait pas d’ami. Il s’appelait Antonio Negri. Et puisque mourir, en pareil cas, c’est être en proie aux vivants, il n’eut jamais autant d’« amis » pour lui rendre hommage qu’au jour de sa mort. Même ses ennemis se souvinrent de lui opportunément, non moins que ceux qu’il avait poursuivis de sa vindicte pour l’avoir « trahi » en ralliant les « destituants ». Il y a quelque lâcheté à différer jusqu’à la mort d’un être le moment de se réconcilier avec lui, à ne même pas prendre le risque d’une réplique acrimonieuse de l’intéressé. Quant à l’ultime élégance de pardonner ses vilenies au défunt, elle s’abolit d’elle-même dans la sensible jouissance de cette pauvre victoire : avoir enterré Toni Negri.

Entretien avec les auteurs anonymes du Manifeste conspirationniste

Nous reproduisons ici l’interview anonyme parue en janvier 2024 dans le numéro 68 du journal romand d’écologie politique Moins !. C’est à notre connaissance la première mention publique de l’invraisemblable dépublication du Manifeste conspirationniste. D’aucuns y verront la forme accomplie de la censure : ON censure, et ensuite ON censure qu’ON censure. L’effacement de la censure par son redoublement même.

Comment tout a commencé

Un texte de Moses Dobruška
Le texte suivant est initialement paru en allemand à la mi-décembre 2023 dans le numéro 0 de la Neue Berliner Illustrierte Zeitung, journal de rue berlinois placardé sur les murs de la métropole, vendu par les clochards et en kiosque pour 2 euros. Il a été presque immédiatement traduit en espagnol, en anglais, en grec et certainement dans d’autres langues que nous ignorons. Il semble que l’état du débat public ait atteint en France un degré de raffinement, d’intelligence et d’exigence de vérité si élevé qu’il n’a jusqu’ici pas semblé utile d’y ajouter cette modeste pièce, en la traduisant, par exemple. La lucidité reste manifestement dans ce pays « la blessure la plus proche du soleil » – ce doit être pour cela que c’est finalement une revue de poésie, Pli, qui, dans son quinzième numéro désormais disponible en librairie, a pris l’initiative de la traduction, et non quelque organe à prétention politique ou philosophique. Bonne lecture !

La politique de l’ombre

Un texte de Françoise Proust
À suivre son cours naturel ou son destin, toute action survient à la fois trop tôt et trop tard : trop tôt pour intervenir efficacement dans l’histoire et infléchir sa direction, et trop tard pour rattraper les chances manquées et corriger la courbe. Tout présent se dédouble et se résume en faux passé et mauvais présent. Il serait vain de vouloir forcer cette contre-temporalité de l’action, en prétendant vouloir trouver, à la manière libérale ou révolutionnaire, un nouveau type d’action qui serait, lui, « à temps ». Qu’on la pense comme « convenable », du seul fait qu’elle favorise le libre commerce des personnes et des biens, ou « juste », du fait qu’elle coïncide avec le sens de l’histoire, toute action supposée d’avance « à temps » succombe, sans le savoir, à la loi du temps, et cela de la pire manière. Elle l’accomplit soit cyniquement soit naïvement. Mais il serait tout aussi illusoire de chercher une échappatoire dans la temporisation.

Théologie de la descente :
La voie étrusque de Lezama Lima

Un texte de Gerardo Muñoz
Vers la fin de sa vie, le poète José Lezama Lima commencera mystérieusement à signer les lettres qu’il adresse à ses amis et à sa famille comme « l’Étrusque du Trocadéro », un « membre de la religiosité étrusque », et même « l’homme qui vit dans le village étrusque ». Pourquoi s’appeler « Étrusque » à ce moment précis de sa vie, et qu’est-ce que cela peut bien signifier ? La question de la signification du masque étrusque de l’auteur a été tellement ignorée par les critiques littéraires que les meilleurs commentateurs ont noté que « être étrusque » signifie simplement son « cosmopolitisme » et son « européanisme bien appris ». Bien entendu, cela n’explique pas grand-chose.

Exode vers les formes sensibles

Un texte d’Owen Sleater
La stabilisation du réel, telle est l’angoisse profonde qui fonde l’ère civilisationnelle de l’Occident.  L’Occident s’érige sur la volonté d’accaparer ce qu’on ne peut plus ressentir. Le manque est la substance essentielle du civilisé, et son seul accomplissement possible est de régner sur des cadavres. Il n’est plus question de tenir à ce qui anime une vie, mais de se soumettre à une inclination d’un soi-disant Salut. L’Église est l’une des réalisations de ce paradigme : tenir son troupeau dans l’œuvre de sa propre salvation dans l’éternité. La vie doit se stabiliser comme condition primordiale à la mise en scène d’un temps abstrait hors de toute compréhension éthique. Dès lors, vivre se résume à une vaine entreprise de pansage de ses plaies civilisationnelles.

Au nom du péché originel

Un texte de Costa Maledetto
Nous ignorons bien des choses du monde, encore plus de ceux qui nous en privent. À ce titre, notre ignorance en matière de théologie est regrettable, car elle implique quelques conséquences effectives. Par le simple fait que nous reproduisons bêtement les mêmes erreurs, et que nous voyons nos réalités collectives se transformer en catastrophes affectives. Cela révèle manifestement notre impuissance et notre illettrisme éthique. Quand l’éthique, démise de toute morale, est pourtant la faculté de reconnaître ce qui nous meut. Une capacité à porter une attention particulière au monde, à ce qui nous traverse. Retrouver nos sens et saisir les forces de cette obscure matière qu’est la théologie, c’est tenter de sortir de ses griffes, et rendre tangible l’émergence d’autres réalités collectives non fondées sur le sacrifice. Il est peut-être bon de rappeler que cette ignorance tient à une mystification, une croyance. Celle que le monde moderne en aurait fini avec la théologie.

Le Léviathan automatique :
cybernétique et politique dans les écrits d’après-guerre de Carl Schmitt

Un texte de Nicolas Guilhot
Le rôle des nouvelles technologies, et des réseaux sociaux en particulier, dans la récente poussée populiste soulève à nouveau la question de la relation entre la politique et la technologie. L’utilisation stratégique des technologies numériques de mise en réseau, ou l’armement sélectif de la transparence à des fins de manipulation de masse, représente certainement une réfutation brutale des visions iréniques de l’Internet comme inaugurant un monde transparent de connaissances instantanément et universellement accessibles, permettant à des millions d’utilisateurs de devenir des décideurs éclairés dans une démocratie ouverte. Loin de nous libérer des contraintes médiatiques de la représentation politique moderne et de la centralisation de la prise de décision, les nouvelles technologies ont également rendu possibles de nouvelles formes de domination et de pouvoir.

La théologie politique de l’entropie : un Katechon pour l’ère cybernétique 

Un texte de David Bates
Carl Schmitt a commencé à développer le concept de Katechon pendant la Seconde Guerre mondiale, mais il est surtout connu pour le rôle prépondérant qu’il joue dans son livre d’après-guerre sur l’ordre mondial, Der Nomos der Erde (Le Nomos de la Terre, 1950). Compte tenu de la théorie bien développée et cohérente de la théologie politique de Schmitt, et de son inspiration catholique reconnue, on peut affirmer que le Katechon – la figure mondaine qui tient l’Antéchrist à distance jusqu’au retour du Christ – doit être interprété à travers le prisme de ses orientations théologiques.

Étendards noirs du Khorasan

Un texte de Flavio Luzi
C’est en 1922 que Carl Schmitt a publié son ouvrage fondamental, Politische Theologie, Vier Kapitel zur Lehre der Souveranität. La phrase d’ouverture du troisième chapitre, celle qui retient l’attention de quiconque souhaite engager un combat au corps à corps avec la catégorie de théologie politique de Schmitt, compte parmi les plus célèbres et les plus citées du texte : « Tous les concepts prégnants de la théorie moderne de l’État sont des concepts théologiques sécularisés ». Son sens, cependant, nous est devenu de plus en plus difficile à pénétrer, caché par l’épaisse couche de brouillard du débat qui, comme toujours, accompagne, en la tenant tendrement par la main, la destruction de l’expérience. 

Acclamatio

Édito
Dans Le règne et la gloire, Giorgio Agamben tente de dégager deux éléments constitutifs du pouvoir en Occident. Il serait l’articulation entre l’oikonomia, le pouvoir comme gouvernement des hommes et gestion efficace, et la Gloire, le pouvoir comme royauté cérémoniale et liturgique. Il se posait alors la question : pourquoi le pouvoir a-t-il besoin de la gloire ? Il se proposait alors de se faire l’artisan d’une étude archéologique de ces concepts. Au cours de cette enquête, il apparaît un élément tout à fait significatif, qui semble pourtant n’avoir suscité que peu de commentaires, c’est la place de l’acclamation.

Théâtre et politique

Un texte de Giorgio Agamben
Il est pour le moins singulier que nous ne nous interrogions pas sur le fait, non moins inattendu qu’inquiétant, que le rôle de leader politique soit à notre époque de plus en plus assumé par des acteurs : c’est le cas de M. Volodymyr Zelensky en Ukraine, mais la même chose s’était produite en Italie avec M. Giuseppe Grillo, dit Beppe Grillo (éminence grise du Mouvement 5 étoiles), et plus tôt encore aux États-Unis avec M. Ronald Reagan. Il est certainement possible de voir dans ce phénomène la preuve du déclin de la figure du politicien professionnel et de l’influence croissante des médias et de la propagande sur tous les aspects de la vie sociale. Cependant, il est clair en tout cas que ce qui se passe implique une transformation de la relation entre la politique et la vérité sur laquelle il convient de réfléchir.

Deux nouvelles (pas parmi d’autres)

Un texte de Giorgio Agamben
La revue Nature, qui fait autorité en la matière, a publié les résultats d’une recherche menée par un groupe de scientifiques de l’université de Cambridge, sous la direction d’Anne Willis, montrant que les vaccins à ARNm, tels que ceux utilisés lors de la récente pandémie, produisent des protéines indésirables dont les effets sur l’organisme peuvent être néfastes.

L’Orient et l’Occident 

Un texte de Giorgio Agamben
L’histoire de l’humanité est toujours marquée par la théologie et il peut donc être instructif d’examiner le conflit actuel entre l’Orient et l’Occident dans la perspective du schisme qui a divisé l’Église romaine et l’Église orthodoxe il y a de nombreux siècles. Comme on le sait, la question du Filioque était à la base du schisme : le credo romain affirmait que le Saint-Esprit procédait du Père et du Fils (ex Patre Filioque), tandis que pour l’Église orthodoxe, le Saint-Esprit ne procédait que du Père.

Finis Italia

Un texte de Giorgio Agamben
On a parlé de la fin de l’Europe, voire de l’Occident, comme de l’événement qui marque dramatiquement l’époque que nous vivons. Mais s’il y a un pays en Europe où certaines données permettent de certifier avec une sobre précision la date de la fin, c’est bien l’Italie. Les données en question sont celles de la démographie.

L’Empire en pire

Ne signe pas, mais persiste comme un vrai pacte.
Sois digne, consiste et prend acte.
Aucune conscience à éveiller,
Seulement des mèches à allumer.
Que brûle la métropole à matricule, Qu’on évince Brigitte et son Jules.

La chanson inconnue

Un texte de Gerardo Muñoz
Le dernier ouvrage de Giorgio Agamben, La voce umana (Quodlibet, 2023), s’ouvre sur une question élémentaire : qu’est-ce qu’appeler quelque chose, et qu’est-ce qu’être appelé ? L’exploration autour de la notion de voix (une sorte de chorá qui se situe entre les différentes antinomies du langage humain, comme nous le verrons ensuite) est loin d’être nouvelle dans l’œuvre d’Agamben, qui dès les débuts de Il linguaggio e la morte (1982) s’est directement confronté au fondement négatif de la phonê par rapport à la fin de la métaphysique. D’une certaine manière, le périmètre de La voce umana est désormais délibérément limité à la manière dont le « mystère du langage » se trouve dans l’événement incessant de la voix comme arcanum de l’anthropogenèse elle-même.

L’adolescence stade minimale du capital

Un texte d’Ezra Riquelme
Au sein de la métropole, on trouve une multitude d’adolescents dont l’âge oscille entre de 10 et 65 ans. Le métropolitain est la forme de l’adolescence permanente de l’humanité. Pour le capital, l’adolescence est devenue le sujet essentiel de son bon fonctionnement. L’ère néolibérale a érigé la crise comme paradigme politique, alors son sujet humain ne pouvait être que l’adolescent.
Cette crise entre deux âges est rendue universelle et permanente. Pourtant l’adolescence n’est qu’une fiction qui a pris racine sous le capital. Cette notion reste vague, il est difficile de définir les contours de sa physiologie, car même les transformations physiques qui accompagnent la puberté peuvent se qualifier de préadolescence. Le fameux passage à l’âge adulte est lui aussi quelque chose de flou.

Sortir du château des vampires

Un texte de Mark Fisher
Nous devons apprendre, ou réapprendre, à construire la camaraderie et la solidarité au lieu de faire le travail du capital en nous condamnant et en nous maltraitant les uns les autres. Cela ne signifie pas, bien sûr, que nous devons toujours être d’accord – au contraire, nous devons créer des conditions où le désaccord peut avoir lieu sans crainte d’exclusion et d’excommunication. 

Les capitalistes rêvent-ils de moutons électriques ?

Un texte d’Owen Sleater
« L’homme est une invention récente dont l’archéologie de notre pensée montre aisément la date récente. Et peut-être la fin prochaine ». C’est ainsi que Michel Foucault conclut Les Mots et des choses. Dans cette archéologie des sciences humaines, Foucault formule une critique de l’humanisme et met à mal cette catégorie qu’est l’homme. Aujourd’hui, tout annonce la mort de l’homme, mais rien n’annonce la fin de son projet métaphysique pourtant si nécessaire. C’est tout le contraire qui s’amorce, une mise en œuvre de la grande continuation sous d’autres traits, par d’autres catégories de l’apparence.

 L’automaticité, la plasticité et les origines déviantes de l’intelligence artificielle

Un texte de David Bates
Le cerveau contemporain est en grande partie un cerveau numérique. Non seulement nous étudions le cerveau par le biais de technologies qui reposent sur des visualisations numériques, mais l’activité même du cerveau est souvent modélisée par des images numériques. Et le cerveau est, de différentes manières, toujours considéré comme une machine numérique, une sorte d’ordinateur neuronal. L’héritage de l’intelligence artificielle (IA) persiste dans les neurosciences et les sciences cognitives contemporaines.

Sur l’automatisation et le temps libre

Un texte de Yuk Hui
La question n’est pas de savoir si l’automatisation complète niera le capitalisme et aboutira dialectiquement à une société postcapitaliste. Si nous soulevons la question du post-travail en tant que tel, nous ne tiendrons pas compte de l’histoire sociale de l’industrialisation et nous considérerons à tort l’automatisation comme quelque chose qui se produit uniquement dans les usines, comme le capital fixe de Marx. Nous devrions plutôt reconnaître, comme
Gilbert Simondon l’a déjà fait il y a près de soixante ans, comment les développements capitalistes contemporains rendent discutable l’analyse originale de Marx sur l’aliénation, et chercher de nouvelles voies pour aller de l’avant.

La textocratie, ou la logique cybernétique de la French Theory

Un texte de Bernard Dionysius Geoghegan
Toute histoire de la cybernétique et de la théorie de l’information qui cherche à aller au-delà d’un simple inventaire des influences – c’est-à-dire de l’impact des sciences naturelles sur les sciences sociales, ou des projets d’ingénierie de l’armée américaine projetant leurs modèles sur les sciences sociales et humaines plus souples – doit s’attaquer à leurs origines simultanées et à leurs itinéraires multiples. Dans les grandes lignes, la cybernétique et sa sœur, la théorie de l’information, ont émergé dans les années 1940 et au début des années 1950 des sciences mathématiques et se sont concentrées sur l’ingénierie technologique des mécanismes de communication, de rétroaction et de codage pour faciliter les transmissions dans les systèmes organiques et inorganiques.

L’empire du code. Sur les marchés radicaux et leur utilisation.

Un texte de Gerardo Muñoz
Je voudrais commencer cette intervention à partir d’un point très précis : la crise de légitimation du libéralisme dont certains identifient le début dans les années 1970, et que nous connaissons aujourd’hui sous le nom de néolibéralisme, a facilité une sortie créative et fluctuante en termes de gouvernabilité. Comme Grégoire Chamayou l’a bien montré dans son important ouvrage La Société ingouvernable (2021), la crise de légitimité entre l’État et la société a été subordonnée à une série d’opérations qui ont rendu le régime d’ordre économique plus flexible au sein des organes institutionnels (c’est-à-dire qu’elles ont transformé les institutions en formes vicariantes pour le fonctionnement d’un nexus d’ordre concret, garantissant le modèle d’accumulation).

La stratégie de séparation

Un texte de Michele Garau
Aiguiser un point de vue révolutionnaire pour attaquer le présent, c’est l’horizon. Prendre la parole dans un débat qui n’existe pas encore, entrer dans un banc de brouillard et en ressortir avec un abécédaire. Les années écoulées ont dévasté les dernières certitudes fragiles qui tenaient encore la politique révolutionnaire en place. Quelques tentatives et lueurs ont indiqué des chemins, mais tout autour on tâtonne dans l’obscurité. Pour sortir de cette obscurité, il faut d’abord être au milieu d’elle, la mettre en lumière. À force de tâtonnements, à partir d’un état situé dans l’obscurité, il faut dessiner des cartes. Pour trouver les mots qui manquent, pour échapper à la fatigue qui nous livre à la langue de l’ennemi, pour repérer les contours de son propre champ parmi les bavardages et sous la surface.

L’Empire réticulaire

Un texte de Jean Bartimée
Dès l’origine l’empire porte en lui l’élément le plus signifiant de son étymologie : porter le commandement dans. C’est bien à l’intérieur que s’exerce le commandement ; sinon, il aurait été impossible que le roi soit « empereur en son royaume », l’un serait une simple équivalence de l’autre. C’est là une des grandes erreurs de la théorie politique occidentale et ce qu’il faut dénouer. Depuis Michel Foucault, on sait que la question du pouvoir n’est pas celle de l’institution. Il n’est pas de pouvoir comme entité, mais comme relations présentes en permanence, à tous les niveaux. Ainsi en est-il de l’empire. C’est l’une des forces de Tiqqun d’avoir montré que l’Empire n’est pas une question territoriale, mais une question de relations de pouvoir.

L’Empire contre la vie

Édito
Il n’y a pas à douter que l’on assiste actuellement à un tournant de l’histoire : un basculement radical dans la destruction généralisée des multiplicités de formes de vie. Depuis plus de trois années, l’Empire mène une gigantesque contre-offensive contre les potentialités de bouleversement de la sensibilité générale. Car l’Empire est le maintien des dispositifs de l’État moderne, et tout État moderne repose la condition d’une entreprise « impériale ». Cela a été bien intégré par les deux puissances historiques en concurrence que sont les États-Unis et la Chine, afin de réaliser leur objectif : devenir l’hégémonie mondiale.

Erich Unger, La formation d’apatride du peuple juif aujourd’hui

Un texte de Gerardo Muñoz

L’année même où Carl Schmitt, dans son ouvrage Théologie politique (1922), apparaissait sur la scène intellectuelle de la République de Weimar pour défendre l’exception de la décision contre l’immanentisme, un court opuscule intitulé Die staatenlose Bildung eines jüdischen Volkes (La formation apatride du peuple juif, 1922), écrit par le philosophe juif Erich Unger, était publié comme une réponse intempestive à la question de l’« identité juive » (Judentum) et de son destin dans le sillage de l’effondrement de la civilisation. Le fait que cet essai – ainsi que son livre Politik und Metaphisik ed 1921, que Walter Benjamin a décrit comme la réflexion politique la plus importante de son époque – soit resté en marge de l’histoire intellectuelle, de la théorie politique et de l’histoire de la pensée est une chose à laquelle tout le monde doit sérieusement réfléchir.

Une nationalisation de l’histoire

Un texte de Ammon Raz-Krakotzkin
Yeshurun fut l’un des poètes hébraïques marquants du XXe siècle et il eut un rôle important dans la constitution de la culture hébraïque israélienne, même si on le classe habituellement dans l’opposition – culturelle et poétique. Il a écrit ce texte en 1970, quarante-cinq ans après avoir émigré de Pologne. Il y fait le point sur lui-même tout en marquant son adhésion à la culture hébraïque israélienne dans laquelle l’individuel et le collectif se confondent.

Derrière le mur

Le 7 octobre dernier à l’aube, un événement vu le jour. Un choc a retenti, personne ne s’y attendait. Une multitude de brèches ont fissuré la frontière entre l’État d’Israël et la bande de Gaza. Les murs se sont vus percés sous les hurlements de joie. Cet événement sans précédent ne peut se réduire aux attaques du Hamas ni se réduire à l’injonction de choisir le parti d’une entité étatique ou d’une autre. Ceci révèle bien autre chose : il est toujours possible de mettre à mal l’Empire. L’armada technologique qu’est l’État d’Israël a failli face à des groupes militarisés et face à des groupes populaires, provoquant la répression atroce en cours.

Mémoire inondée : Démontrer, expérimenter

Un texte de Gabriel Bravo Soto
Dans le domaine politique, la gauche comme la droite veulent démontrer, avoir le dernier mot, donner l’interprétation la plus forte et l’explication qui réussit le mieux à enterrer le discours adverse, espérons-le pour toujours, en montrant leur supériorité morale respective et supposée, tout en homogénéisant le discours national dans une totalité fermée. Allende ici, Pinochet là ; démocratie, dictature, condamner ou ne pas condamner, les lois, la constitution, qu’ils ont commencé, qu’ils ont continué. De la boue pure.

Un monde aux multiples fins : eschatologie et perspectivisme

Un texte de Mårten Björk
Le soldat juif allemand et philosophe de la religion Franz Rosenzweig soutenait que la mort est une crise et une apocalypse ; un jugement et un dévoilement. A travers la mort, la vérité sur nous-mêmes et sur le monde que nous habitons se révèle ; mais en quel sens la mort peut-elle être comprise comme une apocalypse et comme une crise ?

Breaking the waves

Un texte de Nicolò Molinari
Ce texte, rédigé entre avril et mai 2023, tente d’aligner quelques raisonnements stratégiques à partir d’expériences de lutte récentes. Il ne s’agit pas d’un bilan, ni d’un ensemble d’indications normatives, mais d’une tentative de penser les stratégies des mouvements et les limites qu’ils rencontrent. Quelques mois plus tard, il est peut-être possible de réfléchir à certaines des limites de ce texte et d’essayer de tracer des pistes de recherche pour l’avenir.

La sound science et la Covid. Réponse à un article anticomplotiste.

Un texte de Guillaume Delaite
Où l’on découvrira comment la rhétorique anticomplotiste appartient à une véritable tradition de propagandistes : la sound science. Et comment cette propagande a pu irriguer tant de sphères intellectuelles en apparence si opposées. Petit exercice explicatif en réponse à un article de L’empaillé. Cette réponse a été refusée par sa rédaction.

L’universitas metapolitica, esquisse d’un chemin possible de désertion

Un texte d’Ezra Riquelme
La tâche centrale de la métaphysique qui vient est d’intensifier la désertion en cours, en la rapportant à un ensemble de liens entre métaphysique et forme de vie. L’époque réclame de notre part un peu de rigueur à tenir liés ensemble ces deux dimensions afin de bâtir les conditions nécessaires pour défaire l’économie, et d’éprouver largement le dépassement de l’inconstance que sont les sociétés, les collectifs, et les nations. La métaphysique qui vient s’annonce imprévisible et hardie, elle prend au sérieux la recherche de vérité. Il s’agit donc de partir d’une expérience du vrai, car le caractère de cette expérience correspond à la mise en relation entre une pensée et une vie. Mais comment parvenir à cette métaphysique qui vient et à esquisser un autre chemin que celui de la catastrophe ?

La part irréconciliable : de l’Appel au Manifeste conspirationniste

Un texte de Ezra Riquelme
Presque vingt ans d’écart séparent la publication de l’Appel de celle du Manifeste conspirationniste. Tous deux sont sortis en périodes de sclérose et d’impuissance, et leur ambition n’était pas moins que de rompre avec cette atonie généralisée et de partager une intelligibilité conspirative de l’époque. Il ne s’agit pas de convaincre, comme l’espère une certaine tradition critique, mais plutôt de toucher les évidences communes pour les renforcer.

L’Appel, ceci est un commencement

Édito
Il y a vingt ans s’échangeait clandestinement, de proche en proche, un texte majeur : Appel. Ce texte fut tout autant un grand bouleversement de la sensibilité qu’un schisme. La tentative nécessaire de donner forme à une puissance sensible et située, capable de se défaire de la civilisation. Celui-ci s’adressait à toutes les personnes partageant des évidences communes : déserter le social, faire sécession, refuser la temporalité de l’urgence de la catastrophe, fuir le désastre de l’activisme, s’organiser en conséquence. Depuis sa publication, ce texte continue de mettre en crise les milieux autonomes, anarchistes et militants, donnant lieu à une multitude de fantasmes. La volonté farouche d’exorciser ce spectre nommé « appeliste » qui les hante n’est que la tentative de sauvegarder leurs précieux crédits sociaux de radicaux et de continuer d’ériger leur inconsistance éthique

Histoire de la vie (de la bombe atomique) : « Oppenheimer »

Un texte de Ricardo G. Viscardi
« Oppenheimer » donne non seulement son titre au film1, mais le patronyme désigne aussi la personne inhérente, comme condition de possibilité, à la fabrication de l’engin nucléaire (métonymie : un terme donne son sens à l’ensemble de l’expression). Mais une fois l’explosion nucléaire survenue, le même personnage devient partagé entre les alternatives politiques et les massacres humains qu’un certain « Oppenheimer » a été capable de déclencher, même doublement (scientifiquement et éthiquement).

Les alchimistes de la révolution : du Manifeste du parti communiste au Manifeste conspirationniste et inversement

Un texte de Hunter Bolin
Au printemps 1847, après de nombreuses pressions, Marx et Engels acceptent de rejoindre la Ligue des justes à une condition : que la Ligue exclue la pensée conspirationniste de son programme. Comme le dit Engels, « Moll a rapporté qu’ils étaient autant convaincus de la justesse générale de notre mode de pensée que de la nécessité de libérer la Ligue des vieilles traditions et formes conspiratrices »1. Marx, journaliste à l’époque, considère que son rôle social est d’éclairer son public et d’éliminer toute forme de conspiration ouvrière, à laquelle il n’a jamais pris part lui-même.

Bifurcation dans la civilisation du capital II.

Un texte de Mohand
Si le « point de vue de la révolution » a cru pouvoir déceler une possibilité subversive dans la reformulation écologique des problèmes produits par la communauté du capital, c’est parce que l’écologie politique revendiquait illusoirement partir depuis un ailleurs de l’économie. Cette illusion n’est pourtant pas dénuée d’effectivité. C’est pourquoi une partie de ceux qui tentent de maintenir une réalité à l’idée de révolution y succombe.

Poème depuis la cage

Un texte de Justin Delareux
Été 2018, extrait, je retenais sur un carnet de route les matériaux qui allaient donner, quelques semaines plus tard, Poème depuis la plage. Il s’agissait de fixer un élan, fugace, joies diluées d’amour, d’énergie et de liberté, peut-être, quelques vues, situées, mêlées à ce qui était en train d’être vécu. Une étrange rencontre entre un présent saisi et un futur incanté, comme pour qu’il se réalise, affranchie des lourdeurs langagières, vers une simplicité choisie, la plus directe possible. Trois mois passèrent pour que le fond de l’air se révèle. D’autres textes liés suivirent, lentement ; Poème depuis trop tard (janvier 2019), Quitter le navire ne suffira pas (mars 2020), Forme juste sans moyens (novembre 2020). Il se trouve que je retrouve, géographiquement et sensiblement, cinq années plus tard, le point de départ, l’élan et le retour. Je vous transmets donc ce bref poème depuis la cage.

Le Manifeste conspirationniste ou l’insoutenable miroir de notre défaite

Un texte de Pascal Mathis
Cet engagement téméraire, d’autres devaient le tenir, courant janvier 2022, en publiant le Manifeste conspirationniste. Ce livre vaut mieux que le silence gêné que beaucoup lui opposent depuis plus de trois ans, car tout indique sa profonde sincérité. Il est des deuils si douloureux, souvent ceux d’un enfant, qu’ils conduisent les parents à des comportements ségrégés, à l’extérieur ils reçoivent naturellement les condoléances de leurs proches, ils vont se recueillir sur la tombe de celui qui jamais n’aurait dû les quitter, ils portent même des vêtements de deuil, mais une fois rentrés chez eux, ils entretiennent la chambre de leur enfant défunt comme s’il devait rentrer de l’école tout à l’heure, ils lui préparent même un bon goûter et le soir encore ils mettent son couvert. Ces parents endeuillés vivent ainsi, un temps durant, dans deux réalités ségrégées, l’une n’invalidant pas l’autre, la perte et le manque d’un côté, de l’autre la présence de l’être aimé. Il me semble que le Manifeste conspirationniste, tout animé d’un tel être au monde ségrégé, n’a pu être écrit que dans le terrible deuil qui nous frappe depuis trois ans, dans la douleur du manque de cette puissance minimale qui nous semblait acquise. Ceux qui ressentent une telle perte ont tout à gagner à poursuivre jusqu’à son terme la balade hallucinée que propose l’ouvrage.

Notes sur la vérité

Le moins que l’on puisse dire, c’est que nous avons de plus en plus de mal avec la vérité.
Confinés que nous sommes, dans nos vérités.
C’est bien que la vérité, aussi, est passée par le filtre du selfie.
Le moi, devient la maison du vrai.

Nul ne témoigne pour le témoin

Un texte de Parham Shahrjerdi

Abbas Derris, né en 1973 à Abadan en Iran, est un citoyen et ouvrier iranien. Il est l’un des manifestants au cours des révoltes populaires survenues en novembre 2019. Il a été témoin du massacre de Mahshahr où les gardiens de la Révolution ont eu recours aux armes de guerre et des mitrailleuses lourdes pour éliminer les protestants. Avec ses propres yeux, il a vu les meurtres commis par la République islamique d’Iran, et « seulement »pour cela, il a été condamné à mort. 

Soutenir la révolte

Une nouvelle fois, la police a volé une vie. La vidéo du meurtre de Nahel en a touché plus d’un, donnant lieu à un grand bouleversement des sensibilités. Réactivant la mémoire des atrocités policières. Face à cette horreur, la croyance en la justice et la reconnaissance de l’État a été balayée par l’émergence d’un bon sentiment, celui de la vengeance. Ce sentiment est partagé dans toute la France : de Nanterre à Marseille, en passant par Aulnay-sous-Bois, Lyon, Brest, la Guyane, et même la Belgique, la liste est longue. Se venger est devenu une nécessité.

No sens

Un texte de Maxime Bordais
C’est au cœur d’une ville énigmatique que j’écris ces quelques lignes, reclus dans le fond d’une chambre. Je ne sais pour quelle raison je suis là, transperçant les longues journées sous le rayonnement du soleil. Ne rien faire, sinon succomber au jour étouffant, perdre son regard dans un fond obscur bien calme. N’être rien d’autre qu’un corps brûlant sous un banc tripatouillé de graffitis. Être une cible joyeuse des faisceaux lumineux

Un entretien avec le journaliste Seymour Hersh

Un texte de Fabian Scheidler
Le 26 septembre 2022, le gazoduc Nord Stream reliant la Russie à l’Allemagne en mer Baltique a été en grande partie détruit par plusieurs explosions. Journaliste d’investigation de stature internationale, Seymour Hersh a publié un article détaillé sur la base d’une source anonyme qui affirme que le gouvernement américain était responsable de l’attaque et a bénéficié du concours des forces norvégiennes. Il revient sur cette enquête en interview.

Comment les États-Unis ont liquidé Nord Stream

Un texte de Seymour Hersh
Quand nous posons la question, « qui a bien pu saboter le pipeline ? », ce que nous interrogeons, c’est le régime de vérité. L’information est un drôle d’objet. Elle est libre et éclairée en Occident, tout autant que contrôlée et propagande chez les ennemis de la démocratie. C’est le grand partage entre le dicible et l’indicible. Entre ce qu’il est légitime d’interroger et ce qui ne saurait souffrir d’aucune contradiction. Ce qui est certain, c’est que nous ne pouvons faire confiance à aucun d’entre eux.
C’est pour cela que l’enquête du journaliste américain Seymour Hersh nous paraît digne d’intérêt. N’ayant pas eu le droit de cité dans de prestigieux journaux américains auxquels elle était destinée, nous la reproduisons ici.

Constitutionnalisme et sens

Un texte de Gerardo Muñoz
Il a été dit à maintes reprises – dans le meilleur esprit hyperbolique, sans doute – que le Chili représente toujours, quel que soit l’angle sous lequel nous regardons, ce qui est à venir à notre époque. Le laboratoire chilien préfigure les mutations à venir et solidifie les tendances effectives des pouvoirs publics. Le cycle politique 2019-2023 n’est pas différent : il a commencé par la révolte expérimentale au cœur du centre métropolitain, et il a culminé avec une nouvelle scène constitutionnelle cherchant à remplacer la « constitución tramposa » désormais à la merci de ceux qui vouent une profonde admiration à l’État subsidiaire de la post-dictature.

Guerre, crise et anarchie

Un texte d’Emmeffe
En effet, on peut dire que nous assistons aux premières répercussions internes dans les économies occidentales, à qui la confrontation de l’OTAN avec la Russie en Ukraine inflige une importante augmentation des prix de matières premières et, par suite, un manque d’argent. Ceux qui, comme les anarchistes et les internationalistes, considèrent la défaite de leur propre pays comme l’occasion d’une intervention révolutionnaire se doivent d’examiner ces faits.

La conspiration néolibérale

Un texte de Ezra Riquelme
On entend dire que l’ère du néolibéralisme toucherait à sa fin. Certains, comme l’abruti de Francis Fukuyama, préconisent de retourner au stade antérieur, le libéralisme. Ils sont suivis de près par la gauche qui rêve d’imposer le keynésianisme au monde entier. Il y a de quoi se poser quelques questions au vu de ces différentes perspectives. Peut-être vaudrait-il mieux prendre le contre-pied de telles perspectives et regarder depuis un autre plan, reprendre l’ère néolibérale à la racine.

Les cercles de la destitution

Étrangement, la destitution n’a plus le vent en poupe. Cela est dû aux arrêts brutaux des derniers soulèvements dans le monde par une douteuse pandémie. 2019 fut l’année où la gouvernementalité mondiale a décidé de mener une gigantesque opération contre-révolutionnaire à l’échelle planétaire. Quel meilleur prétexte qu’une pandémie pour enfermer une grande majorité de la population mondiale chez elle ?

Préface à l’édition américaine du Manifeste conspirationniste

Un mois après la parution de ce Manifeste intervenait le spectaculaire saut qualitatif dans la guerre dont l’Ukraine est le hochet ensanglanté. C’est peu dire que la « nouvelle guerre froide », que certains firent mine de découvrir alors, est partout présente dans le Manifeste. À dire vrai, quiconque sait s’informer ne pouvait ignorer que, depuis des années déjà, le découplage stratégique des USA vis-à-vis de la Chine était en cours, que le réarmement général allait bon train, ainsi que les rumeurs de retour de la « guerre conventionnelle », que l’achèvement du pipeline Nord Stream 2 était pour Washington un casus belli à lui seul ou que l’OTAN fomentait le passage à la « guerre cognitive ».

Errances

Édito
Dans une époque où l’inclination à la soumission étatique a repris de l’aplomb, l’errance est devenue l’expérience commune d’une génération. Les âmes errent hors de leurs lieux, éloignées du monde sensible. Et certaines préfèrent continuer de s’enfoncer un peu plus dans une errance tragique. À force de petites manigances politiciennes, les communicants peuvent prétendre créer un soulèvement, il n’y a pas l’ombre d’un tremblement, juste la répétition paradigmatique du pouvoir et la perte de toute sensibilité au profit d’une stratégie politicienne de gauche. Cette situation funeste a permis le retour au premier plan des pensées étatiques. La mode de l’écologie n’y est pas pour rien dans cette histoire, elle est même le point crucial du déploiement du pouvoir environnemental.

Nuit d’émeute à Donges

Nous avons fait l’expérience de la communauté. Et je tâcherai d’utiliser les outils dont je dispose pour en rendre compte. C’est une nécessité. Nous ne sommes pas toutes et tous séparés du temps historique, nous ne vivons pas toutes et tous les événements par le prisme d’une représentation qui nous éloignerait d’une vie réellement vécue. Ce qui sera ici écrit ne sera pas séparé de ce qui aura été directement vécu. L’histoire individuelle est parfois le reflet d’une histoire commune dont les mots manquent pour qu’elle puisse être transmise et qu’ainsi le temps redevienne nôtre.

L’homélie sécuritaire

Un texte d’Henry Fleury
À l’image de chaque messe d’envergure mondiale, les Jeux olympiques de Paris en 2024 sont l’occasion d’homélies sécuritaires. Cette opération scélérate s’exprime dans de nombreuses politiques publiques plus crasses les unes que les autres. Comment ne pas s’émouvoir de la destruction des jardins partagés de quelques cités de banlieue ? Comment ne pas s’insurger contre la transformation de ces mêmes villes en paradis gentrifié pour classe dégueulasse ? Mais c’est l’avancée des grands projets sécuritaires qui incarne le mieux l’ambition fasciste que produit cette gouvernementalité. Plus qu’une simple opération de maintien de l’ordre, ce que provoquent ces événements est une bascule vers la sécurité globale.

Les infrastructures travaillent sur le temps

Un texte de Timothy Mitchell
Habituellement, lorsque l’on écrit à propos des infrastructures, on commence par la question de l’espace et l’on traite celle du temps comme une conséquence de la première. Les infrastructures créent des canaux et des connexions qui lient des points séparés, facilitant le mouvement entre eux. Les nouvelles routes de la soie chinoises illustrent cette association entre infrastructure et maîtrise de la distance. Ses promoteurs insistent sur le lien créé entre les continents et sur l’interconnexion des océans. Pourtant, cette insistance sur les infrastructures en tant qu’elles permettent de conquérir l’espace masque ce qui est souvent le plus important dans leur construction.

Conspirations et imaginaire libéral

Un texte de Nicolas Guilhot
Ce n’est que lorsqu’ils se sont installés au centre de la politique américaine et se sont considérés comme les gardiens des institutions démocratiques que les libéraux ont rejeté l’idée de conspiration comme une vision erronée de la société et de l’État. Ce n’est pas une coïncidence si l’expression « théorie du complot » est devenue un terme d’opprobre dans les années d’après-guerre, lorsque les visions néolibérales de la société comme ordre spontané reposant sur des mécanismes de coordination décentralisés ont commencé à s’imposer.

Démocratie et infrastructurel du capital

Un texte d’Ezra Riquelme
Le passage en force du gouvernement Macron pour sa réforme des retraites a changé profondément la nature du conflit, mettant en avant une nouvelle fois la question épineuse de la démocratie. Pour autant, Macron a réussi à détourner l’attention du mouvement par l’amplification de la haine envers sa propre personne. Plus que jamais tout le monde le hait, il ne reste pas grand monde pour lui trouver un brin de sympathie. C’est une vérité éthique commune et généralisée. Néanmoins, cette vérité a perdu de sa puissance de rupture, prisonnière du piège conçu par le gouvernement.

Les communes face aux Empires

Un texte d’Owen Sleater
Sans conteste, la situation historique actuelle prépare une guerre entre deux empires, l’hégémonie mondiale en toile de fond. On retrouve d’un côté l’Empire anglo-saxon (États-Unis, Grande-Bretagne, EU), de l’autre l’Empire chinois (Chine, Russie). Ces deux entités sont en passe de changer l’état actuel des choses et de rajouter une strate d’horreur par le passage de la guerre froide au conflit ouvert.

À sens unique ?

Édito
À l’aube d’un tournant historique, une ligne mortifère se trace. Celle d’un conflit militaire ouvert entre le camp des États-Unis et celui de la Chine. L’administration Biden se prépare à entrer en guerre contre la Chine. Deux projets vont s’affronter pour la domination mondiale : celui d’un monde multipolaire chinois, et celui du monde unipolaire des États-Unis. Les regards se tournent vers l’océan Pacifique, où les États-Unis construisent une alliance transnationale pour encercler la Chine et préserver leur hégémonie mondiale. L’hypothèse d’une nouvelle guerre mondiale n’a rien de réjouissante.

De l’« inconscient » au monde

Un texte de Zibodandez & Alii
Les groupes se font et se défont. Un groupe n’est qu’une forme dont la durée d’existence est déterminée par la nécessité de son émergence – incommensurable, heureusement ! Car la durée d’existence d’un groupe est toujours singulière et dépend de sa propre expérience. Au gré de nos diverses itinérances – politiques ou non –, les groupes sont le nid des communautés terribles (Tiqqun). S’enfermer en groupe, c’est se fixer et voir l’identité prendre ses aises.

Les deux visages du pouvoir

Un texte de Giorgio Agamben
Qu’on le désigne par l’hendidys « constitution/gouvernement » ou par « État/administration », le concept fondamental de la politique occidentale est un concept double, une sorte de Janus à deux visages, montrant tantôt le visage austère et solennel de l’institution, tantôt le visage plus ombrageux et informel de la pratique administrative, sans qu’il soit possible de les identifier ou de les dissocier.

Les deux visages du pouvoir IV : anarchie et politique

Un texte de Giorgio Agamben
C’est un constitutionnaliste allemand de la fin du XIXe siècle, Max von Seydel, qui a posé la question qui semble aujourd’hui incontournable : « Que reste-t-il du royaume si l’on supprime le gouvernement » ? En effet, le temps est venu de se demander si la fracture de la machine politique occidentale n’a pas atteint un seuil au-delà duquel elle ne peut plus fonctionner. Dès le XXe siècle, le fascisme et le nazisme avaient déjà répondu à cette question à leur manière par l’instauration de ce que l’on a appelé à juste titre un « État dual », dans lequel l’État légitime, fondé sur la loi et la constitution, est flanqué d’un État discrétionnaire qui n’est que partiellement formalisé et où l’unité de la machine politique n’est donc qu’apparente.

Les deux visages du pouvoir III : le royaume et le gouvernement

Un texte de Giorgio Agamben
« Le roi règne, mais ne gouverne pas ». Que cette formule, qui est au cœur du débat entre Peterson et Schmitt sur la théologie politique et qui, dans sa formulation latine (rex regnat, sed non gubernat), remonte aux polémiques du XVIIe siècle contre le roi de Pologne Sigismond III, contienne quelque chose comme le paradigme de la structure duale de la politique occidentale, c’est ce que nous avons essayé de montrer dans un livre publié il y a près de quinze ans. Là encore, à la base se trouve un problème authentiquement théologique, celui du gouvernement divin du monde, lui-même finalement expression d’un problème ontologique.

Les deux visages du pouvoir II : politique et économie

Un texte de Giorgio Agamben
« Le destin, c’est l’économie », c’est un peu le refrain que les hommes dits « politiques » nous répètent depuis des décennies. Et pourtant, non seulement ils ne renoncent pas à se définir comme tels, mais les partis auxquels ils appartiennent continuent d’être qualifiés de « politiques » et les coalitions qu’ils forment dans les gouvernements et les décisions qu’ils ne cessent de prendre se déclarent « politiques ».

Les deux visages du pouvoir 

Un texte de Giorgio Agamben
Qu’on le désigne par l’hendidys « constitution/gouvernement » ou par « État/administration », le concept fondamental de la politique occidentale est un concept double, une sorte de Janus à deux visages, montrant tantôt le visage austère et solennel de l’institution, tantôt le visage plus ombrageux et informel de la pratique administrative, sans qu’il soit possible de les identifier ou de les dissocier.

Pasolini, Mishima : la subversion cosmologique en partage

Un texte de Virgile dall’Armellina
Les années que nous vivons sont situées entre deux centenaires. Celui de la naissance de deux écrivains, artistes et penseurs majeurs : Pier Paolo Pasolini, né le 5 mars 1922, et Yukio Mishima, né le 14 janvier 1925. Nous voudrions inviter à nous examiner ce que leur héritage pourrait apporter à la compréhension de la situation politique, et inciter à relire ces auteurs dans une perspective de dépassement du capitalisme.

Le prêtre aztèque à l’Élysée

Un texte de Virgile dall’Armellina
« Est-ce que vous pensez que ça me fait plaisir de faire cette réforme ? » Ces mots, Emmanuel Macron les prononce face aux deux journalistes autorisés à se rendre au palais de l’Élysée pour l’interroger. Une fois n’est pas coutume, ils n’ont pas l’air d’être trop impressionnés par le chef de l’État. Conscients peut-être du niveau de colère de leurs auditeurs, ils entendent signifier qu’ils feront leur travail et poseront de vraies questions au Président.

Giordano Bruno, l’art des métamorphoses

Un texte d’Owen Sleater
Plus que jamais, nous sommes dans l’errance. Une errance commune pourtant difficilement partageable, une errance sur tous les plans. Il est toujours bon de se perdre un temps, cela peut permettre quelques découvertes, comme l’œuvre de Giordano Bruno, qui regorge de conseils tactiques pour notre époque. On ne peut guère résumer aisément la vie de Bruno, théologien hérétique pratiquant les mathématiques, la physique, la métaphysique et la magie. La métamorphose comme seuil éthique de son existence.

La sensibilité en mouvement

Édito
Le gouvernement continue son horrible plan néolibéral coûte que coûte. Économiser encore plus l’existence, rendre inopérantes les possibilités de s’extraire de cette logique, prolongeant une nouvelle fois la « stratégie du choc ». Personne n’échappe à cette situation. La résistance en est ainsi amputée matériellement. Il a fallu un énième 49.3 pour voir une éclaircie, certes brève, mais néanmoins précieuse. Sortie du dispositif manifestation, une forme éphémère a pris forme : celle des déambulations nocturnes à coup de poubelles enflammées profitant de la grève des éboueurs.

Désert

Un texte de Théo Lévêque
Le désert c’est le grand équilibre, le dernier rêve.
Il s’est construit de béton.
Pour que chaque chose trouve sa place.
La terre n’a rien à offrir,
Elle ne porte plus ses enfants.
Désormais il y a des murs.

La métropole est notre fantasme de l’État total

Un texte de Henry Fleury
Si nous connaissons tout le malheur que produit la métropole sur nous : l’aliénation, le contrôle, la discipline, la domestication, la pollution, et finalement l’impuissance généralisée, nous ne pouvons pas nous borner à penser la manière dont elle nous punit. Si elle existe, si tant d’entre nous s’y inscrivent, c’est nécessairement que nous la désirons, qu’elle active une certaine définition du bonheur, aussi horrible soit-elle.

La métropole ou la captivité du monde

Un texte de Gerardo Muñoz
Les soins préventifs en cas de pandémie ont révélé la face cachée d’une série de processus en cours que l’on ne voyait pas. Bien que nous ayons pu percevoir que nous ne vivions plus dans une ville, un regard capable de voir dans l’épais brouillard est devenu plus clair. Ce n’est que maintenant, dans notre proximité immobile, que nous pouvons réaliser tout ce dont nous n’étions pas capables : apprécier les braises dans la nuit du présent est aussi une manière de prêter attention non seulement à ce qui nous échappe, mais aussi à ce qui est, entre le sol et le ciel, en cours de décomposition.

Sur l’anarchie aujourd’hui

Un texte de Giorgio Agamben
Si pour ceux qui entendent penser la politique, dont elle constitue en quelque sorte le foyer extrême ou le point de fuite, l’anarchie n’a jamais cessé d’être d’actualité, elle l’est aujourd’hui aussi en raison de la persécution injuste et féroce à laquelle un anarchiste est soumis dans les prisons italiennes. Mais parler de l’anarchie, comme on a dû le faire, sur le plan du droit, implique nécessairement un paradoxe, car il est pour le moins contradictoire d’exiger que l’État reconnaisse le droit de nier l’État, tout comme, si l’on entend mener le droit de résistance jusqu’à ses ultimes conséquences, on ne peut raisonnablement exiger que la possibilité de la guerre civile soit légalement protégée.

Prendre d’autres chemins

Un texte de parents
À travers chaque mouvement social, nous avançons de défaite en défaite. Pourtant personne n’est dupe. La base sociale de croyance à la politique ou aux acquis sociaux est de plus en plus mince. La situation actuelle a ceci de particulier que plus nous bougeons pour défendre ces acquis sociaux, plus nous sommes pris au piège, rendus à la simple impuissance. Nos ennemis nous matent encore une fois.
Pourtant, nous pouvons prendre notre courage à deux mains. Certains l’ont déjà montré, il faut suivre leur exemple et essayer une nouvelle fois de changer le cours des choses

Échographie de la Police

Chaque nouveau mandat présidentiel s’accompagne de nouvelles réformes pour améliorer les conditions d’autonomisation de la police. Plus l’ordre social se fissure, plus la police augmente son nombre d’hommes et d’armes. Et plus son nombre augmente, plus son autonomie politique s’accentue. Quant à l’institution judiciaire, elle court après la police, dans l’espoir que la fiction sociale ne fissure pas davantage. « Seule une Fiction peut faire croire que les lois sont faites pour être respectées » (Michel Foucault, Des supplices aux cellules). C’est là que la police vient matérialiser cette fiction dont l’État a besoin pour s’établir comme phénomène naturel

Défaire la gauche

Un texte d’Ezra Riquelme
Dans le contexte actuel de saturation des possibilités des bifurcations, nous assistons encore une fois au retour de la gauche, cette entité crasseuse et morale qui cherche sans cesse à se recomposer et qui maintient sa vocation à paralyser le parti historique. Il faut voir la gauche comme un vaccin dont personne n’a besoin – sauf le pouvoir, c’est sans dire – et dont chaque dose diminue drastiquement le besoin de révolution. Ces dernières années ont rappelé cette évidence selon laquelle la gauche s’approprie et défait tous les gestes de soustraction à l’état des choses.

De quoi la métropole est-elle le nom ?

Un texte de Camille Métaformix
La métropole est-elle cette forme de vie étendue à l’étendue du fait de la force centrifuge-centripète qu’exercent les centres urbains sur l’ensemble des espaces ?
La métropole deviendrait ainsi le nom d’une toile dont le maillage aurait pour cœurs les villes. Cette dénomination, ou plutôt cette définition donnerait au mot une visée stratégique en ce qu’elle pose une cartographie guerrière qui paraît opératoire encore à l’heure actuelle. Partons alors de là. Affirmons, affinons la visée.

Metropolis

Un texte d’Owen Sleater
À force de vagabondage dans un monde étroit, on constate des flux de foules traversant ce qui semble être des rues. Pourtant, rien n’y habite franchement. Tout circule sans y vivre un attachement profond, et l’errance est la seule possibilité de passage. La métropole est comme un gigantesque décor entre musées et chantiers sans fin. Vivre n’a pas sa place en métropole, tout juste la survie, c’est la condition préalable de cette expérience de domesticité. La métropole s’étend partout un peu plus, élargit l’étendue du réseau où sévit perpétuellement l’économie. Les villes, les campagnes, les déserts, les forêts, chaque milieu est alors façonné selon les courbes épurées du projet métropolitain, pour ainsi être réduit à de simples pôles d’une sinistre cartographie de cette infrastructure impérialiste. La métropole est un environnement de mobilisation totale.

Les arcanes de la Métropole

Édito
Le continuum du désastre suit son cours. Une ambiance macabre plane sur le monde, l’hypothèse d’une troisième guerre mondiale prend un peu plus d’ampleur. Cristallisant les angoisses passées, les expériences traumatiques moins lointaines sont comme une force annihilant les dynamiques des forces historiques. La Métropole est quant à elle l’environnement infrastructurel d’accentuation de cette annihilation des dynamiques. La domestication effectuée par le premier confinement et les autres mesures sanitaires ont renforcé les dispositifs de la Métropole.

Le lieu de la politique

Un texte de Giorgio Agamben
Les forces poussant à une unité politique mondiale semblaient tellement plus fortes que celles dirigées vers une unité politique plus limitée, comme l’unité européenne, qu’on pouvait écrire que l’unité de l’Europe ne pouvait être qu’« un sous-produit, pour ne pas dire un sous-produit de l’unité globale de la planète ». En réalité, les forces poussant à l’unité se sont révélées tout aussi insuffisantes pour la planète que pour l’Europe.

Technologie et gouvernement

Un texte de Giorgio Agamben
Le fait est que les pouvoirs qui semblent guider et utiliser le développement technologique à leurs fins sont en fait plus ou moins inconsciemment guidés par celui-ci. Tant les régimes les plus totalitaires, tels que le fascisme et le bolchevisme, que les régimes dits démocratiques partagent cette incapacité à gouverner la technologie à un point tel qu’ils finissent par se transformer presque par inadvertance dans la direction requise par les technologies mêmes qu’ils pensaient utiliser à leurs propres fins.

Affirmer la rupture

Un texte de Maurice Blanchot
Le but ultime, c’est-à-dire, aussi, immédiat, évident, c’est-à-dire caché, direct-indirect : affirmer la rupture. L’affirmer : l’organiser en la rendant toujours plus réelle et plus radicale.
Quelle rupture ? La rupture avec le pouvoir, donc avec la notion de pouvoir, donc en tous lieux où prédomine un pouvoir. Cela vaut certes pour l’Université, pour l’idée de savoir, pour le rapport de parole enseignante, dirigeante et peut-être pour toute parole, etc., mais cela vaut davantage encore pour notre conception même de l’opposition au pouvoir, chaque fois que cette opposition se constitue en parti de pouvoir.

L’étudiant dans la nuit de la dépossession

Un texte de Gerardo Muñoz
Au printemps 2021, une image a largement circulé dans les journaux et a ouvert un point d’entrée dans notre époque : il s’agissait d’une image floue, plutôt pauvre et pixellisée, d’un étudiant espagnol nommé Carlos Alegre, assis dans un coin reculé d’une rue de Malaga, lisant son cahier d’école en attendant les commandes de livraison de nourriture de l’entreprise Glovo. L’image ne nous indique ni le temps ni le lieu, mais elle fournit spatialement un geste fondamental : la soustraction de l’attention de l’élève au mystère d’une temporalité subsumée par l’administration de l’échange de valeurs.

Qu’est-ce que l’Occident ?

Un texte d’Owen Sleater
Dans le contexte actuel, où tout le monde a pu s’apercevoir que la guerre froide n’a jamais pris fin, laissant libre cours aux conspirations des propriétaires de son monde, le mot Occident est énoncé maintes fois. Certains veulent sauver l’Occident tandis que d’autres veulent le détruire. Pourtant, au regard de la configuration actuelle du monde, tenue par les forces de la gouvernance mondiale divisée en deux blocs, l’opposition mise en place n’existe que dans le but de rendre tangible l’incarnation du pouvoir symbolique de la gouvernementalité mondiale.

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